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...:::Ansible:::...

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Tous les territoires de l'imaginaire, en vitesse supra-luminique. Chroniques sur le cinéma, la littérature, les jeux, séries TV, bandes dessinées.

Publié le par Spooky

Si vous avez vu récemment le film Tolkien ou avez lu de rapides biographies au sujet de John Ronald Reuel Tolkien, la figure du Père Morgan n'a pas pu manquer de vous interpeller. Désigné tuteur de Ronald et de son petit frère Hilary à la mort de leur mère, en 1904, il s'est occupé de leur trouver un logement, avec plus ou moins de bonheur ; il apparaît également au premier plan lorsque le futur écrivain fréquente de trop près à son goût une jeune femme, Edith Bratt, qui vit dans la même pension de famille alors que le jeune homme n'est pas encore majeur. Le Père Morgan le fait changer d'hébergement, et lui interdit de revoir Edith jusqu'à sa majorité.

 

Une figure autoritaire donc, dont le portrait mérite d'être nuancé. C'est ce qu'a fait l'écrivain espagnol José Manuel Ferrandez Bru, lequel a axé son titre sur la connexion -inattendue- entre l'écrivain et l'Espagne. Car en effet le Père Morgan est issu d'une famille gallo-espagnole, liée à la fameuse dynastie Osborne, laquelle s'est illustrée dans le négoce des vins et des spiritueux (le Xérès, appelé Sherry outre-Manche). L'auteur s'est donc attaché à remonter la longue filiation du prêtre, jusqu'à 5 ou 6 générations, de son entreprise en Angleterre jusqu'à la naissance de Francisco Javier, en passant par l'établissement de la firme à El Puerto de Santa Maria, petite localité à proximité de Cadix, en Andalousie. Et le choix familial d'épouser la culture locale, jusque dans les prénoms des enfants, la double nationalité et le nom de la firme, plus facile à assimiler pour un public hispanophone, Un marché ignoré jusqu'à ce que le grand-père, Thomas Morgan Mann, décide de s'ouvrir au marché local. Pourtant le mariage de ses parents eut lieu au Royaume-Uni, près de Nottingham, en raison notamment de la célébration par Aaron Augustus, frère de l'époux. L'occasion pour l'auteur d'évoquer la situation tendue entre l'Eglise anglicane et le pouvoir papal, qui tenta alors de reprendre la main sur ce territoire perdu pour les Catholiques. Après un tiers de la longueur du livre (soit plus de 70 pages) à évoquer les parents et ancêtre, on en vient enfin à la naissance de Francis Xavier Morgan.

 

L'approche de ses années scolaires est l'occasion pour l'auteur de brosser un rapide portrait des écoles les plus prestigieuses d'Angleterre, appelées écoles publiques mais réservées non seulement à un public anglican mais également d'un certain niveau social. Jusqu'à la moitié du XIXème siècle environ les Catholiques évitaient de toute façon d'eux-mêmes ces écoles, orientant leurs enfants vers des établissements fondés et dirigés par leur propre obédience. Il faut savoir qu'en plus ils n'atteignaient pas 5% de la population britannique, et qu'il y avait trois "types" de Catholiques différents à l'époque dans le pays. Les "vieux Catholiques", qui le sont depuis des générations et ont su supporter la mise à l'écart de la société anglaise d'alors, et qui se trouvaient essentiellement dans les zones rurales ; les "convertis", qui comme leur surnom l'indique sont des déçus de l'anglicanisme et qui ont changé de crèmerie ; et pour finir les Irlandais, venus dans les villes anglaises pour constituer de la main d'oeuvre : ils sont parmi les plus humbles et les plus nombreux des papistes locaux. C'est le deuxième groupe, socialement et économiquement le plus influent, qui poussa le projet de créer des écoles et universités purement catholiques, afin que leurs enfants puissent avoir la même qualité d'enseignement qu'ils ont pu avoir à l'étranger ou au sein des écoles publiques lorsqu'ils étaient "de l'autre côté". John Henry Newman servit de figure de proue à ce mouvement et l'Oratoire de Birmingham, qu'il a fondé, fut en quelque sorte l'établissement pionnier en la matière. Le Duc de Norfolk, bien que faisant partie des "vieux Catholiques", donna une belle aide au mouvement en y envoyant ses fils, tout comme des avocats pleinement engagés dans la politique. L'établissement dut faire face à de nombreux obstacles, mais Newman, son équipe et ses bienfaiteurs tinrent bon et lorsque le jeune Francis Morgan y entra en 1868, l'Oratoire avait une bonne réputation au sein de l'aristocratie catholique britannique.

 

Le cycle d'études de Francis Morgan sur place dura six ans, et correspondit, de manière curieuse, à une crise politique majeure en Espagne, lorsque la reine Isabel II fut plus ou moins déchue pour l'instauration d'une monarchie démocratique. Le régent élu tint quelques mois puis abdiqua, ce qui donna lieu à la première République espagnole, qui dura elle-même quelques mois, puis au retour de la famille royale par l'installation sur le trône d'Alfonso XII, fils de la reine déchue. Pour en revenir aux études de Francis Morgan, il faut savoir que l'excellence de l'enseignement reçu à l'Oratoire allait de pair avec l'étude approfondie de la religion catholique : les étudiants devaient connaître par coeur les oraisons, le catéchisme, et les matières les plus exigeantes étaient l'anglais, le latin ou le grec. Les cours étaient complétés par des retraites et des processions lors de la Semaine Sainte, par exemple. Mais il ne s'agissait pas d'un Séminaire destiné à former des membres du clergé, mais seulement des Catholiques avec une grande culture classique. C'est là que Francis trouva sa vocation. Dès lors il n'eut de cesse d'accroître ses connaissances liturgiques et intégra entre autres l'université catholique de Louvain, en Belgique, avant de revenir en tant que novice à l'Oratoire de Birmingham, et d'être ordonné prêtre en mars 1883, à 26 ans.

 

Sous la direction d'un prêtre prévôt, la congrégation se compose de prêtres séculiers, qui encadraient des novices dont l'apprentissage durait trois ans. Les prêtres décéniaux  c'est à dire qui comptait dix ans ou plus de présence au sein de la communauté, participaient aux grandes décisions qui régissaient l'Oratoire au cours d'assemblées plénières. Saint Philippe Néri préconisait une grande place de la prédication, des confessions et d'une attitude aimable plutôt que la sévérité dans la gestion des fautes et autre péchés, des préceptes que Newman a installés au sein de a congrégation. Morgan fut en quelque sorte le secrétaire de Newman pendant quelques temps, bien qu'il ne fût pas le meilleur orateur, ni le meilleur copiste ; il était apprécié pour ses actions de charité, son enthousiasme et ses bons conseils auprès des ouailles mais aussi au sein de la congrégation.

 

Ferrandez Bru passe également en revue le fonctionnement directorial de la société de producteurs et négociants qui s'appela pendant un temps Morgan Brothers, et eut son siège au Portugal, le Porto étant le produit-phare de la compagnie à une époque. Il s'attarde aussi quelque peu sur la localisation des maisons des deux familles unies (Morgan et Osborne), proches du couvent des Carmélites où sont enterrés nombre de leurs membres, à Puerto de Santa Maria.

 

Un gros chapitre est consacré à la façon dont le Père Francis rencontra la famille Tolkien, puis prit soin des deux orphelins Ronald et Hilary après que leur mère mourut des suites du diabète, en 1904. C'est lui qui leur trouva leurs hébergements successifs, leur permit de poursuivre un cursus de qualité à la King Edward's School de Birmingham, et encouragea ensuite Tolkien à persévérer pour entrer à l'Université d'Oxford. Lui également qui interdit, en tant que tuteur, à Ronald de fréquenter Edith jusqu'à sa majorité afin de privilégier ses études. Par la suite l'aîné, engagé dans ses études, et le cadet, parti travailler dans une ferme du Sussex, permirent à leur tuteur de voir ses obligations allégées, entre les années 1911 et 1914. A la suite de la guerre le Père Francis continua à être présent auprès de ses anciens protégés, se comportant tout à fait comme un papy gâteau, à la fois source de réconfort, copain de jeux et figure d'autorité morale. Pendant ses dernières années Francis vit disparaître tous ses frères et soeur, lesquels n'avaient pas d'enfants. Gardant des contacts avec ses cousins, il vit d'un oeil lointain mais véritablement anxieux la dégradation du climat social en Espagne, qui allait amener à la guerre civile.

 

En fin de parcours Ferrandez Bru propose de passer en revue l'influence qu'a eue Francis sur ses pupilles, en particulier Ronald, qui fut fortement inspiré par ses valeurs, sa philosophie mêlant foi profonde et romantisme historique (hérités de ses antécédents familiaux). En guise de conclusion l'auteur propose de montrer les points communs entre Tolkien et... John Henry Newman, fondateur de l'Oratoire de Birmingham et mentor du Père Francis. Fils d'un banquier anglais dont la femme était protestante, il a connu une scolarité fervente dans une école privée avant d'intégrer le Trinity College d'Oxford, avant d'être ordonné prêtre. Il fut enseignant à l'église de l'Université, toujours à Oxford, où il devint auteur de traités théologiques. Il fut l'un des fondateurs du Mouvement d'Oxford, dont les préconisations théologiques étaient de trouver une voie médiane entre protestantisme et papisme. Il se convertit plus tard au catholicisme, et fondit l'Oratoire au sein duquel il enseigna les préceptes de saint Philippe Néri et sa propre philosophie. Tous deux ont passé l'essentiel de leur vie dans deux grandes villes : Birmingham et Oxford, sans être toutefois contemporains, Ronald Tolkien étant né 17 mois après la disparition de Newman.

 

Ecrit dans un castillan élégant (langue que votre serviteur lit et comprend), la biographie écrite par Ferrandez Bru, vous l'aurez compris, va bien au-delà de la simple vie du Père Francis, qui fut somme toute assez tranquille, l'épisode de tutorat des enfants Tolkien mis à part. Il permet cependant de mettre en lumière un personnage (trop) rarement ignoré ou mal résumé dans les récits concernant le Professeur, en entrant parfois dans son esprit lors de moments cruciaux.. De par son caractère enjoué, sa perspicacité, sa dévotion et son érudition, celui-ci eut une véritable influence sociale et spirituelle sur le futur créateur du Seigneur des Anneaux. Le voici enfin montré tel qu'il fut. Un grand merci à José Manuel Ferrandez Bru.

 

Spooky

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Publié le par Spooky

Une semaine après la conférence consacrée à Tolkien père et fils, la BNF a proposé un autre rendez-vous, cette fois-ci dédié à l'invention des langues. L'intervenant était Damien Bador, membre du Bureau de l’association Tolkiendil, qui œuvre à la promotion de l’œuvre littéraire de Tolkien et il est le co-auteur de L’Encyclopédie du Hobbit et du Monde des Hobbits aux Editions Pré-aux-Clercs. Il a également collaboré au Dictionnaire Tolkien publié aux éditions du CNRS (réédité chez Bragelonne) sous la direction de Vincent Ferré.

 

Des aléas de transports ne m'ont pas permis d'arriver au début de la conférence, mais à mon arrivée Damien était en plein dans l'explication de l'évolution des langues elfiques, les plus développées au sein du Légendaire de Tolkien. Il a donné l'exemple du Seigneur des Anneaux, dans lequel les langues étaient au service du récit. Pour donner un exemple précis, jusqu'à l'apparition de Gimli (dans la scène du Conseil d'Elrond), les Nains étaient jusque-là nommés uniquement par leurs noms elfiques, le dévoilement de leurs noms "véritables" étant une preuve de confiance absolue envers son interlocuteur, ce que la peuplade naine était généralement peu, voire pas encline du tout, à faire. Cette disposition est en fait un stratagème pour Tolkien, qui n'avait alors pas le temps de réfléchir à un système de noms propres aux Nains (car il aurait dû, pour cela, élaborer un système long et fastidieux). Tolkien "s'amuse" également au sujet du nom des Ents, dont on nous dit que la langue est très complexe, et que leur retranscription est très approximative.

 

Parmi les autres créatures "intelligentes", on notera que les langues des Wargs (des loups monstrueux, alliés des orcs) et des créatures arachnoïdes ne sont pas du tout présentes. probablement fatigué après le travail qu'a constitué son épopée, Tolkien a cessé de modifier ses alphabets après sa publication. Cela ne l'a pas, en revanche, découragé d'inventer des nouvelles extensions à son Légendaire, et donc à trouver des nouveaux noms.

Damien Bador a ensuite effleuré l'onomastique, en indiquant par exemple que le nom de Frodo était tout sauf un hasard. Puisqu'il était en partie dérivé du nom du dieu nordique Freyr, qui représente l'abondance et la paix. Car c'est là le destin, ou du moins l'action de Frodo à la fin du roman...

 

La conférence, qui a duré plus d'une heure, laisse un goût d'inachevé et de frustration. Car en effet Damien Bador n'a fait qu'effleurer la surface de l'histoire des langues chez Tolkien, et l'a abordée d'une façon qui, si elle est érudite, n'en était pas moins un peu... aride, dans le sens où certains des noms ou des termes techniques qu'il a pu utiliser n'étaient pas à la portée de tou(te)s. Il semblait parfois s'adresser à des personnes ayant une connaissance avancée de l'oeuvre de Tolkien ou de la linguistique, voire les deux. L'un des désavantages d'avoir écrit son intervention à l'avance. Cette impression a été en partie corrigée par les réponses aux questions posées ensuite par le public, où il s'est montré nettement plus accessible, et même plein d'humour. La soirée fut tout de même passionnante.

Pour les curieuses et les curieux, le replay de la conférence est par ici.

 

Spooky.

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Livres

Que voilà une bonne idée !

 

Une bonne idée de proposer à la jeunesse de découvrir, dans un livre illustré, la genèse de ce qui est par la suite devenu l'un des mythes majeurs de la littérature. Voici donc l'histoire de Mary Wollstonecraft, une jeune femme rêveuse, qui décide un jour de partir -très jeune- avec un poète plus âgé, nommé Percy Bysshe Shelley. Les deux amants voyagent, notamment en Suisse, en 1815. C'est là qu'ils font la connaissance d'un autre poète, Lord Byron. Au cours d'un week-end dans sa villa au bord du lac Léman, appelée Villa Diodati, ce cercle de penseurs se lance mutuellement un défi, celui d'écrire chacun une histoire de fantômes. Le reste appartient à l'Histoire de la littérature, puisque deux récits majeurs sont issus de ce moment-clé : le Vampyre, écrit par John William Polidori, le médecin de Byron, mais aussi et surtout Frankenstein ou le Prométhée moderne, par Mary, qui pour l'occasion prend le nom de son fiancé.

 

Cette histoire est contée de façon très accessible, dynamique, on ne peut s'empêcher de tourner les pages pour en savoir plus sur cette jeune femme au destin hors du commun. Une postface permet à l'auteure de donner un récit plus distancié, plus mature de son histoire.

 

Auteure primée, Linda Bailey a écrit plus de 30 livres pour enfants. Parmi ses nombreux prix figurent le Blue Spruce Award, la California Young Reader Medal et le Georgia Storybook Award. Comme Mary, elle construit « des châteaux dans le ciel » depuis toujours. Elle vit à Vancouver, en Colombie-Britannique.

Artiste, Júlia Sardà a illustré plusieurs livres pour enfants, dont Les Liszt de Kyo Maclear, ainsi que de grands classiques tels qu’Alice au pays des merveilles, Le Magicien d’Oz et Charlie et la chocolaterie. Son travail est paru en plusieurs langues partout dans le monde. Elle vit à Barcelone, en Espagne.

 

Si le texte est prenant, je suis plus réservé sur le graphisme. Je le trouve un peu anguleux, et la colorisation un peu sombre. Si le personnage de la créature de Frankenstein n'inspire pas forcément la joie de vivre, Mary, elle, est fraîche, pleine de vie et d'inventivité. J'aurais peut-être plus apprécié s'il y avait eu deux ambiances distinctes, entre la vie de Mary et son oeuvre... Je recommande cependant la lecture.

 

Spooky

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Publié le par Spooky
Publié dans : #Reportages

Dans le cadre de son exposition consacrée à Tolkien, la Bibliothèque Nationale de France organise un cycle de conférences destinées à faire mieux connaître l'homme et son oeuvre.

 

Après la séance inaugurale où carte blanche était laissée à Adam Tolkien, le petit-fils de l'auteur, c'est Leo Carruthers, professeur émérite à l'Université de la Sorbonne en langue et littérature médiévales, qui proposait, le 21 novembre, de nous parler de la relation toute particulière qui liait Ronald et son fils Christopher. Le hasard (ou pas) du calendrier faisant bien les choses, cette date était également celle du 95ème anniversaire du troisième fils de l'écrivain.

Christopher a indiqué, dans la préface de La Chute de Gondolin, qu'il s'agissait là de sa dernière contribution à l'édition posthume de son père. Il aura en effet passé la moitié de sa vie, ou peu s'en faut, à se consacrer à cette tâche, après avoir quitté ses missions d'enseignement. Sans lui, seulement quelques bribes de son oeuvre seraient parvenues jusqu'à nous. Ce dévouement et cette énergie, uniques en littérature, lui ont valu d'être décoré en 2016 par la médaille Bodley (du nom d'une célèbre bibliothèque universitaire à Oxford), pour sa contribution exceptionnelle aux mondes de la communication et des lettres.

 

Leo Carruthers a commencé son exposé en rappelant brièvement la vie de Tolkien, depuis sa naissance dans l'Etat Libre d'Orange (actuelle Afrique du Sud), jusqu'à son décès, deux ans après son épouse adorée, en Angleterre. Je ne reviendrai pas sur cette biographie, et vous renverrai plutôt vers la page idoine sur le site Tolkiendil, récemment remasterisée. Le Professeur Carruthers a ensuite brossé un portrait tout aussi rapide de la vie de son troisième enfant, Christopher, qui a eu une vie bien remplie ; là encore, je vous renvoie sur tolkiendil, et la page écrite par votre serviteur.

Au terme d'une bonne heure de conférence passionnante, les spectateurs ont pu lui poser également diverses questions, auquel le Pr Carruthers a pu répondre avec beaucoup d'érudition, et même de l'humour. La soirée s'est prolongée avec un groupe d'amateurs et le conférencier dans un bar proche de l'institution, où nous avons également porté un toast à Christopher. Une bien belle soirée.

 

Vous pouvez retrouver un replay de la conférence ici.

 

Spooky

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